LE RITE ÉCOSSAIS ANCIEN ET ACCEPTÉ DE 1848 à 1869 | Article magnifique
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LE RITE ÉCOSSAIS ANCIEN ET ACCEPTÉ DE 1848 à 1869 | Article magnifique

LA RÉSISTANCE DU REAA ET DU SCDF | @Alain Graesel


4. UNE TROISIÈME OBÉDIENCE en FRANCE : LA GRANDE LOGE NATIONALE de 1848.



Le 3 mars 1848, plusieurs loges relevant du SCDF reçoivent une convocation en vue d’organiser une manifestation de soutien au gouvernement provisoire. Deux jours plus tard, par une initiative séparée, la loge Le Patronage des Orphelins no 112 décide de se séparer du SCDF et fait savoir qu’elle appelle à la formation d’une Grande Loge nationale.

En quelques jours le mouvement se structure. Dès le 10 mars, des maçons parisiens qui s’en réclament se rendent à l’hôtel de Ville de Paris où ils sont accueillis, au nom du gouvernement, par Lamartine en personne, alors ministre des Affaires étrangères. Et le 17 avril, environ 300 frères se réunissent en assemblée générale.

Ils veulent refonder l’organisation de la maçonnerie en France et leurs loges ne veulent plus accorder que des pouvoirs limités à leur obédience. De plus les grades au-delà du troisième doivent être purement et simplement abolis.

Au mois de décembre 1848, la nouvelle structure est constituée. Mais elle ne comptera jamais plus de huit loges dans ses rangs. Elle précise dans l’article 6 de sa Constitution : " Il est expressément interdit en maçonnerie de traiter toute question politique ou religieuse de nature à irriter les esprits, et par conséquent de porter atteinte à l’Institution, toute de tolérance et de fraternité, ce qui cependant n’exclut en rien l’étude des questions sociales. " Cette précaution sera cependant insuffisante pour obtenir la neutralité du pouvoir. Selon Emmanuel Rebold, qui fut Grand Officier de la GL Nationale (dans son "Histoire des trois Grandes Loges", parue en 1864) le GODF et le SCDF auraient alors fait pression sur les autorités civiles pour obtenir la dissolution de la nouvelle obédience.

Exclusivement parisienne ou presque, la Grande Loge nationale ne suscite aucun mouvement d’ensemble dans la franc-maçonnerie française, l’aventure ne dure que quelques mois …

Le Préfet de police de Paris, le 2 janvier 1851, fait savoir que les statuts de la Grande Loge nationale - malgré l'article 6 sur les " questions sociales " - ne permettent pas de la considérer comme étrangère à la politique et elle tombe sous le coup de la loi qui ne veut pas entendre parler de politique dans les loges.

Les dirigeants de la Grande Loge nationale, prudents, ne souhaitent pas croiser le fer plus longtemps avec le pouvoir. Le 14 janvier 1851, environ 600 frères se réunissent en une ultime séance solennelle, et ironie suprême, tirent une batterie en l’honneur du GODF et du SCDF, font une chaîne d’union, puis se donnent l’accolade fraternelle et se séparent. L’aventure est terminée.

Dans l’immédiat, c’est à leur concurrent de toujours, le GODF – et notamment à son Grand Maître Bernard Magnan – que les Écossais du SCDF vont devoir une fois de plus se mesurer.


5. LA GRANDE MAÎTRISE DU MARÉCHAL MAGNAN ET LA VOLONTÉ HÉGÉMONIQUE DU GRAND ORIENT.


Après le retrait du Prince Murat, Grand Maître très contesté du GODF, l'obédience ne lui trouve pas de successeur. Le 11 janvier 1862, Napoléon III y procède donc lui-même et c’est par un décret impérial que Bernard Magnan (note **) est nommé à la tête de l’" Ordre maçonnique de France ". Magnan a deux caractéristiques : il a été l’un des acteurs majeurs du coup d’État du 2 décembre 1851 – c'est un "sabreur" qui jouit de toute la confiance de Napoléon III – et surtout il n’est même pas maçon.

Qu’importe, dans les jours qui suivent, il reçoit du Grand Collège des Rites du GODF les 33 grades du REAA et prend ses fonctions le 1er février 1862. Il va conduire la suite des opérations comme un sabreur. Car le même jour, le Grand Commandeur du SCDF, Jean-Pons-Guillaume Viennet (note*), qui a succédé à Decazes après son décès en 1860, reçoit une première lettre de Magnan le sommant de fondre les loges du SCDF dans le GODF – " cette grande famille qui vous recevra à bras ouverts ", selon les termes du nouveau Grand Maître. Mais Viennet, homme de caractère et farouche défenseur de l’indépendance du SCDF, refuse deux jours plus tard. Peu après, lors d’une entrevue avec l’Empereur que Viennet a sollicitée, Napoléon III, à la demande de Magnan, suggère lui-même la fusion des deux obédiences mais n’en dit pas davantage. Le 30 avril, négligeant de s’adresser à Viennet, Magnan envoie à tous " les Vénérables et Présidents d’Ateliers de l’ex-Suprême Conseil (sic) " l’injonction impérative de se réunir au Grand Orient avant le 8 juin 1862.

Le 14 mai 1862, Viennet répond à son tour à Magnan par un texte admirable de précision, véritable cours de droit maçonnique. On peut notamment y lire ces lignes sans faiblesse : " Où est le décret qui vous confie la direction de tous les rites en France, qui vous donne le droit de menacer tout ce qui n’appartient pas au Grand Orient, qui supprime enfin le Suprême Conseil de l’Écossisme ? Que ce décret paraisse et nous nous soumettons à l’instant même (NDR : car c’eût été, en la circonstance, par ordre de l’Empereur) non pas en nous rendant, comme on nous le commande, dans le Temple du Grand Orient, mais en fermant les nôtres. " Sa position est claire, ferme, courageuse et digne.

Imperméable à tous ces refus, Magnan renouvelle ses sommations le 23 mai, en qualifiant Viennet d’"ancien Grand Commandeur". Ce dernier met pourtant le 25 mai 1862 un point final à la polémique par un texte qui reste l’un des plus forts de l’histoire maçonnique au XIXe siècle. S'adressant à Magnan, le Grand Commandeur Viennet écrit : " Je vous déclare que je ne répondrai pas à votre appel et que je regarde votre arrêté comme non avenu […] L’Empereur seul a le pouvoir de disposer de nous. Si Sa Majesté croit devoir nous dissoudre, je me soumettrai sans protestation ; mais comme aucune loi ne nous oblige d’être Maçons malgré nous, je me permettrai de me soustraire, pour mon compte, à votre domination. "

Napoléon III, qui seul peut trancher, s’abstient de parler – attitude au demeurant fréquente chez lui en pareil cas, comme chez nombre de politiques -. On considère alors que son silence vaut approbation du statu quo et on en reste là.

On peut dire sans hésiter que le courage de Viennet permet en 1862 de sauver l'indépendance et la souveraineté du REAA et du SCDF qui auraient sans cela disparu au sein du GODF.

Dans l’immédiat la GL Centrale du SCDF, dès le 26 mai, exprime à Viennet ses remerciements pour son action et assure le Grand Commandeur de sa fidélité. La composition des loges va toutefois, évoluer de façon spectaculaire lorsque s’approche le crépuscule du Second Empire.

Moins nombreux sous l’Empire autoritaire (1852 à 1860), les maçons d'origine modeste vont devenir plus nombreux sous l’Empire libéral (1861 à 1870), alors que les frères d’un plus haut niveau social vont au contraire se faire plus rares : il s’agit d’une mutation sociologique en profondeur. Ces nouveaux venus vont-ils accepter d’être toujours gouvernés par un régime maçonnique dont la structure leur rappelle sans doute un peu trop le régime impérial désormais très contesté ?

Au milieu des années 1860, le vent est en train de tourner.


6. LA MONTÉE DES TENSIONS EN 1865.


Par un effet inattendu, la résistance victorieuse du SCDF à son absorption par le GODF a pour conséquence de faire affluer vers les loges symboliques du SCDF un nombre croissant de républicains et d’opposants à l’Empire.

La question du GADLU va se poser.

• DIEU ET LE GRAND ARCHITECTE DE L'UNIVERS.

Et lors de cette année des frères de la GL Centrale votent une motion selon laquelle la croyance en Dieu et en l’immortalité de l’âme doit être laissée à la conscience de chacun et certains décident même de supprimer de tous les documents la mention du Grand Architecte de l’Univers.

Paradoxalement la Constitution du GODF de l'époque, promulguée en 1849, déclare au contraire que : "La franc-maçonnerie, institution philanthropique, philosophique et progressive a pour base l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme." Et tous aussi paradoxalement, le nouveau Grand Maitre du GODF, le général Émile Mellinet (Magnan est mort en mai 1865) signe une circulaire rappelant que les planches doivent toujours commencer par "ALGDGADL'U".

Le SCDF de son coté veut préserver les principes fondateurs et procède en mai 1868 à la radiation ou à la suspension temporaire de plusieurs loges qui ont supprimé la référence au GADLU sur leurs documents officiels.


En 1869, en Tenue de Grande Loge Centrale, les conclusions du rapporteur Émile Thirifoq – que l’on retrouvera au moment de la Commune de Paris – sont rejetées et on décide de supprimer la mention du GADLU.

Adolphe Crémieux, élu la même année Grand Commandeur du SCDF, fait alors habilement adopter un compromis. Dans de nouveaux règlements, en lieu et place de "l’adoration du Grand Architecte de l’Univers", on introduit de nouveaux principes : " L’ordre maçonnique se fonde sur le principe de la liberté religieuse, sur les règles de la plus pure morale et sur les doctrines les plus élevées de la philosophie. […] Il a pour devise Liberté, Égalité, Fraternité. "

En échange et pour calmer les tensions, une synthèse adoptée par la GL Centrale préconise " le maintien de la formule consacrée par nos traditions ". En 1869 le GADLU a senti passer le vent du boulet qui l’atteindra, quelques années plus tard, au GODF. Mais un évènement majeur se produit et le déclenchement de la guerre contre la Prusse le 19 juillet 1870 met un terme provisoire aux querelles intestines.

Et la défaite de la France - qui sera acceptée par la République et refusée par les Communards parisiens - va précipiter la capitale dans un épisode sanglant auquel de nombreux maçons vont participer, des deux côtés des barricades.


Note * : Jean-Pons-Guillaume VIENNET, (1777 – 1868), Grand Commandeur du SCDF du 24 octobre 1860 au 10 juillet 1868.

Militaire, homme politique, poète et dramaturge.

À 19 ans, lieutenant en second dans la marine française il est prisonnier des Britanniques après une bataille perdue. Libéré, devenu capitaine, il fait la campagne de Saxe en 1813, décoré de la main de l'empereur. Prisonnier après le désastre de Leipzig, il ne rentre en France qu'à la Restauration.

Élu député en avril 1828, défenseur de la liberté de la presse, il contribue à l'établissement de la Monarchie de Juillet et c'est lui qui lit au peuple, à l'Hôtel de ville, le 31 juillet 1830, la nomination du duc Philippe d'Orléans comme lieutenant général du royaume. L'Académie française l'accueille en 1830, il poursuit ses travaux littéraires (romans, opéras, tragédies, comédies) avec assez peu de succès. Il meurt à 90 ans, inhumé au Père-Lachaise à Paris.

C'est son courage et sa résistance à Magnan qui a permis de sauver l'indépendance et la souveraineté du REAA et du SCDF.


Note ** : Bernard MAGNAN (1791 – 1865), Grand Maitre du GODF

Simple soldat en 1809, capitaine en septembre 1813. Campagnes de 1812 et 1813 en Espagne, de 1814 et 1815 en France et en Belgique. Chevalier de la Légion d'honneur en 1813, il participe à la conquête de l'Algérie, courageux au combat, promu général de division en 1845. Commandeur de la Légion d'honneur en 1833, il est un des principaux organisateurs du coup d'État du 2 décembre 1851, nommé sénateur du Second Empire par Napoléon III, puis Maréchal de France en 1852.

Initié le 8 février 1862, il reçoit les 33 degrés du REAA dans la même journée, et intègre la loge « Les vrais amis inséparables ». Il tente d'annexer le SCDF au GODF mais échoue face à la résistance du Grand-commandeur Viennet.


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